Main d’œuvre agricole : le grand défi de la filière

Main d'oeuvre agricole

Si la pénurie de main d’œuvre est plus ou moins prégnante en fonction des filières, des métiers ou des types de production, elle demeure une réalité à laquelle sont confrontés la plupart des exploitants. Mais les choses évoluent peu à peu, sous l’impulsion d’un secteur en pleine transition.

Pénibilité, manque d’attrait pour la ruralité, défaut de formation, niveau de rémunération, creux générationnel… les raisons avancées pour expliquer la difficulté à embaucher dans les métiers de l’agriculture sont nombreuses. « Je recherche un mécanicien agricole depuis plus de 3 ans. Dès qu’on a besoin de compétences particulières, c’est encore plus compliqué », témoigne Nicolas Foucher, producteur de légumes dans les Deux-Sèvres. Installé depuis 10 ans, il se souvient d’une époque où il refusait les candidats. Mais depuis 5 ans, il doit faire appel à du personnel détaché venu de Bulgarie pour faire face au surcroît d’activité saisonnière. Il constate aussi un important turn-over dans ses équipes : interruption de contrat, arrêt maladie, recrues qui ne viennent pas ou repartent après quelques heures, il lui faut parfois embaucher 6 à 7 personnes pour être certain d’en avoir 4 réellement présentes sur la saison.

Alors, pour ne pas freiner le développement des exploitations, chacun travaille davantage, la vie professionnelle prenant le pas sur la vie privée. « Ne pas être à jour de certaines tâches, comme la gestion des mauvaises herbes, peut avoir des conséquences sur 10 ou 20 ans, avec des herbes qui grainent. Un travail moins bien fait faute d’employés se ressent sur la production et sur la santé de l’exploitation » précise Nicolas Foucher, contraint de « confier aux employés polyvalents les tâches spécifiques qu’on n’a pas pu pourvoir, en essayant de les former au maximum pour qu’ils puissent tout faire ».

Des métiers agricoles « mal vendus »

Avec le recul des exploitations familiales dans lesquelles se succédaient autrefois des générations d’agriculteurs, il est nécessaire aujourd’hui d’attirer des travailleurs éloignés du monde agricole. Mais, tenus par essence à l’écart des centres urbains, réputés pour leur rudesse, les travaux agricoles ne font pas toujours rêver ceux qui ne sont pas « du milieu ». Sans compter l’image associée à l’agriculture en général, régulièrement écornée dans l’opinion publique ces dernières années. « Les métiers de l’agriculture sont mal vendus » reconnaît Luc Pierron, viticulteur dans le Beaujolais et vice-président du Service de Remplacement national, qui peine parfois à trouver des candidats pour remplacer les agriculteurs en congé – accident, maladie, maternité ou paternité, formation… « On imagine encore un travail de manutention mal payé, sans compétences ni qualifications. C’est de moins en moins le cas, mais encore faut-il le faire savoir ! »

Sur les postes à moindre valeur ajoutée comme sur les profils plus qualifiés, la difficulté reste la même. Mylène Gabaret, directrice de l’Apecita (association nationale accompagnant les cadres, ingénieurs et techniciens des filières agricole et agroalimentaire vers l’emploi), note le décalage qui peut exister entre la fonction proposée par les recruteurs et les attentes des candidats. « Il y a un idéal de métier et en face, le contenu réel du poste va s’avérer décevant. Par exemple la fonction « Rechercher/Expérimenter » attire beaucoup mais dans les faits, il s’agit davantage d’expérimentation terrain que de recherche pure, donc ils ne postulent pas ». Du coup, entre les 14 000 offres d’emploi diffusées par l’Apecita l’an passé et les 17 000 candidats inscrits, l’adéquation n’est pas toujours au rendez-vous.

Changer l’image… et les pratiques

Pour Mylène Gabaret, il est important que la profession repense sa manière de recruter. Pour s’adapter à une nouvelle génération dont les moteurs ont changé,
mais aussi parce que le secteur a profondément évolué et que beaucoup l’ignorent. « Dans nos accompagnements, nous insistons sur la ‘marque employeur’, tout ce que les exploitants peuvent valoriser : modernité de l’infrastructure, émergence de nouveaux métiers, valeurs de l’entreprise… Il ne s’agit pas de leurrer les
postulants mais de montrer la réalité, en pointant aussi les avantages, les conditions d’accès au poste, les perspectives d’évolution. »
Elle souligne aussi l’importance de l’immersion par des stages, des apprentissages, des témoignages d’agriculteurs et des rencontres, « pour se faire une idée de l’intérieur ».

Le profil des agents attirés par le Service de Remplacement en témoigne : souvent des jeunes sortis d’école, qui veulent parfaire leur formation et apprécient la diversité et l’expérimentation de nouvelles tâches au quotidien. « L’agriculture a vraiment évolué, on a besoin d’informaticiens, d’ingénieurs, de mécanos, de chauffeurs, de gens qui savent gérer des données… de quoi donner envie de revenir dans les métiers
agricoles »
observe Luc Pierron, qui se réjouit du dialogue engagé ces dernières années avec les centres de formation. Parcours réactualisés, cursus
plus courts favorisant la reconversion professionnelle en agriculture, nouvelles compétences et métiers d’avenir inscrits aux programmes… « Avec tout ça, les personnes reviennent peu à peu, avec des formations adéquates et plus complètes et sont plus opérationnelles dès la sortie. »